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Création de valeur et petites parcelles pour s’adapter au climat

Contraints par les surfaces et le climat, Sébastien Cornet, Delphine Chaux et Vincent Cornet (de gauche à droite) créent de la richesse par la diversification plutôt que par la productivité en volume.

Face à un climat contraignant, la ferme de Joannon, dans la Loire, a remis en cause son système il y a quelques années. Un pilotage fin du pâturage lui permet de maximiser cette ressource et la création de valeur ajoutée a pris le pas sur la recherche de productivité.

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Sébastien et Vincent Cornet se sont installés hors cadre familial dans la Loire, à quatre années et six kilomètres d’écart : l’un en vaches laitières avec transformation, l’autre en vaches allaitantes. Ils ont créé un Gaec en 2009 et développé la partie laitière. 

« En 2011, nous avions 48 laitières et 60 vaches allaitantes sur 120 hectares et produisions 400 000 l, dont 20 000 l transformés en fromages, relate Vincent. Nous avions 15 à 18 hectares de maïs, dont 12 irrigués, 15 hectares de céréales autoconsommées et le reste en herbe. Les vaches étaient conduites en zéro pâturage, avec une ration de base composée de 10 kg de MS de maïs ensilage et 6 kg de MS d’herbe. Mais, à cause des sécheresses fréquentes, nous n’étions pas autonomes en fourrages et devions acheter 100 tonnes de foin par an. »

Après cinq ans de ce système, face à un climat de plus en plus chaud et sec, les éleveurs se sont remis en question. « Pour atteindre une autonomie alimentaire, nous avons voulu réduire le nombre d’animaux et compenser en créant de la valeur ajoutée, expose Sébastien. Nous avons fait un diagnostic de conversion bio en 2016, dans l’idée d’arrêter les vaches allaitantes et d’augmenter légèrement le cheptel laitier, tout en valorisant mieux le lait livré. » Le troupeau allaitant est abandonné en 2017, la référence laitière portée à 460 000 l et les livraisons de lait bio à Sodiaal démarrent en janvier 2018.

Les laitières peuvent marcher 1 km par jour pour aller pâturer. Sur l’année, les vaches mangent 2 t de MS d’herbe pâturée entre mars et novembre. (© B.Lafeuille)

« Nous avons alors implanté 26 hectares de mélange multi-espèce résistant à la sécheresse et arrêté le maïs ensilage, reprend Sébastien. Et nous avons appris à lâcher les vaches ! » Il avait déjà pratiqué un peu de pâturage avant la création du Gaec mais, faute de gestion rigoureuse, l’herbe n’était pas valorisée. « À partir de 2016, nous avons suivi des formations et adhéré à un groupe pâturage d’une dizaine d’exploitations, animé par la Fevec [1]. Nous avons découpé nos 30 hectares accessibles en paddocks, installé des bacs à eau partout, tiré plus de 2 km de tuyaux pour les raccorder au réseau, et recréé des chemins de pâturage. Et nous avons appris à mesurer les hauteurs d’herbe régulièrement pour piloter la saison de pâturage. Nous enregistrons toutes les données sur l’outil HappyGrass, qui calcule les stocks d’herbe disponibles et simule leur évolution à venir. »

Une autonomie fourragère acquise

Depuis fin 2020, une troisième associée, Delphine Chaux, a rejoint le Gaec. La transformation fromagère avait été arrêtée un an plus tôt. Delphine se consacre à un atelier de transformation en yaourts et crèmes dessert, qui emploie deux salariés. Dans le même temps, la production laitière a été portée à 500 000 l et des jersiaises ont intégré le troupeau pour ramener un peu de taux. Les éleveurs ont pu louer 30 ha supplémentaires : cela leur a laissé assez de latitude pour refaire du maïs ensilage sur 7 ha, dont 3 irrigués, afin d’arrêter d’en acheter (ils en distribuent 3 kg de MS pendant neuf mois). Ils sont désormais totalement autonomes en fourrages et n’achètent que du tourteau de soja pour fabriquer un concentré de production avec les céréales de la ferme.

Les éleveurs ont loué une autochargeuse pendant un an pour tester l’affouragement en vert, puis ils ont investi eux-mêmes. (© B.Lafeuille)

Début avril, la saison de pâturage a commencé depuis un mois et s’étendra jusqu’en novembre. Sébastien Cornet a déjà sorti son herbomètre à deux reprises. « À 6-7 cm, les vaches font un premier passage sur toutes les parcelles pour déprimer l’herbe », explique-t-il. Ensuite, la mécanique du pâturage tournant dynamique est bien rodée : un paddock égal un repas. « Pour le premier tour, les vaches ne sortent que le jour, indique Vincent. Puis elles ont un paddock de jour et un de nuit. Quand il fait chaud, elles restent la journée dans le bâtiment qui a l’avantage d’être bien ventilé, et sortent la nuit, car les parcelles sont peu ombragées. En août, lors de fortes chaleurs, les vaches restent parfois en stabulation pour trois semaines afin de laisser les prairies se reposer. Même si nous en avons 8 ou 9 hectares irrigués, elles ne représentent qu’une vingtaine de jours de pâturage, même pas un cycle complet. »

Les hectares accessibles aux laitières ont été découpés en 56 paddocks de 5 000 m² en moyenne. « Ils font 4 200 m² pour les prairies temporaires et 5 500 m² pour les prairies naturelles, afin d’obtenir une équivalence nutritionnelle, détaille Sébastien. Nous avions commencé par des paddocks de 5 000 m² sur les prairies temporaires irriguées mais les vaches n’arrivaient pas à tout manger. Depuis que nous avons réduit leur taille à 4 200 m², elles ne gaspillent plus ! Nous avons ainsi gagné des paddocks supplémentaires, qui nous ont permis de rallonger la rotation et d’avoir des jours de repousse en plus. Au printemps, on fait pâturer jusqu’à 3 cm, mais l’herbe a vingt-quatre jours pour repousser avant le retour des vaches. Et, quand la pousse de l’herbe ralentit, le délai de retour passe à trente jours. » Pour tamponner les écarts de valeur nutritionnelle et éviter les à-coups de production, les vaches pâturent en alternance des prairies naturelles et temporaires.

Les génisses, qui vêlent à 26-27 mois, sont aussi conduites au pâturage, sans apport de fourrage complémentaire. Le chargement est de 1,6 à 2 UGB génisses à l’hectare au printemps, 0,8 à 1 UGB/ha à l’automne, et elles changent de paddock chaque semaine.

Sur les 12 ha irrigables, 9 sont consacrés à la production d’herbe et 3 au maïs ensilage. L’installation des clôtures et points d’eau a coûté aux éleveurs environ 500 € par hectare… et beaucoup de temps de travail, sur des terrains vallonnés et accidentés. (© B.Lafeuille)
Les génisses sont aussi conduites en pâturage tournant dynamique, à raison d’un paddock par semaine. (© B.Lafeuille)

Depuis 2016, les prairies temporaires, en rotation sur cinq ans avec les céréales, sont toutes semées d’un mélange suisse à plus de 50 % de légumineuses. Ou plutôt, de trois mélanges. « Nous semons ensemble trois mélanges, tous à plus de 50 % de légumineuses : l’un riche en ray-grass et trèfle prévu pour une durée de deux à trois ans, un mélange prévu pour trois à quatre ans et un pour quatre-cinq ans, explique Sébastien. Cela nous permet d’avoir une implantation rapide la première année et de garder une constance dans la qualité et la quantité d’herbe les années suivantes. » Là où l’irrigation est possible (les infrastructures étaient présentes avant l’installation des éleveurs), le rendement annuel atteint 8,5 t de MS. Les parcelles fauchées ou pâturées reçoivent de 25 à 30 m3/ha de lisier, ou 10 à 15 t/ha de fumier. À l’implantation des maïs sont apportées 25 t/ha de fumier.

Une ouverture à d’autres techniques

Les éleveurs sont satisfaits du mélange suisse, aussi résilient que les prairies naturelles : « Même s’il grille en été, il repart très vite en automne », constate Vincent. Cependant il arrive de plus en plus souvent que tout soit jaune dès le 15 juin. « Au vu des risques de sécheresses, notre priorité au printemps est de constituer nos stocks d’hiver, confie l’éleveur. Les première et deuxième coupes des parcelles de fauche y sont consacrées : nous ensilons 55 ha en première coupe et 25 en deuxième. Quand les stocks sont faits, on consacre les coupes suivantes à l’affouragement en vert. En été et en automne, les vaches ont un repas à la pâture et l’autre en affouragement en vert pour ne pas taper dans les stocks d’ensilage. » Après avoir fait du sorgho pendant plusieurs années, les éleveurs ont arrêté. « Mais en cas d’année très sèche, on remettra du sorgho derrière l’orge pour faire de l’affouragement en vert », indique-t-il.

Les éleveurs ont cherché à maximiser le pâturage pour réduire leurs charges et coller au cahier des charges du réseau Invitation à la ferme, auquel ils ont adhéré pour monter leur atelier de transformation en yaourt. (© B.Lafeuille)
La priorité au printemps est toujours de constituer les stocks d’ensilage d’herbe sur les parcelles éloignées de l’exploitation. (© B.Lafeuille)

Les chantiers d’ensilage démarrent de bonne heure pour ne pas être pris de court, sachant que les fenêtres météo sont souvent courtes et l’ensileuse est partagée en Cuma. « Ayant suffisamment de surface, nous privilégions la valeur nutritionnelle à la quantité », confie Sébastien. Quand ils jettent un coup d’œil sur leur parcours, les deux frères sont satisfaits. « C’est parce que nous étions coincés par les sécheresses et le manque de surfaces que nous sommes passés en bio, résume Vincent. Avec le passage à un système pâturant, la production par vache a chuté de 8 800 l à 7 000 l, mais il est mieux valorisé. Nous acceptons que la production baisse en été, tant que nous ne descendons pas sous les 7 000 l. La santé de leurs pieds s’est beaucoup améliorée. Et aujourd’hui rien ne nous ferait revenir en arrière, car cette transition nous a conduits à nous former et nous ouvrir à beaucoup de choses. »

(1) Fédération des éleveurs et vétérinaires en convention.

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